La Traversée

Publié le par Daniel

D’abord, c’est l’angoisse ! depuis hier soir, je pense à mon départ. Avec Anne et Xavier, nous avons longuement étudié les bulletins météo et les cartes Grib (cartes météo isobariques et des vents que l’on capte sur internet et qui peuvent être développées par certains logiciels de navigation). La situation est normale, pour eux comme pour moi. Eux partent vers le Brésil et feront donc route au sud tandis que moi je ferai route plein ouest vers les Antilles. A cette saison, normalement, il n’y a rien à craindre. Les alizés sont bien établis entre Nord-est et est-nord-est et leur force se situe entre 3 et 5 beaufort. Mais, quand même, nous passons un bon moment à regarder tout cela dans le détail. Nous dînons ensemble, pour cette dernière soirée et parlons d’autre chose mais on sent bien, pour eux comme pour moi, que l’angoisse, justifiée, du départ est là.
Et voila, nous sommes le lundi matin 11 février et la dernière formalité administrative vient d’être remplie : j’ai récupéré les papiers du bateau auprès des autorités du Cap-Vert et je suis prêt à larguer les amarres. J’ai repensé cent fois aux mêmes choses : l’avitaillement, le carburant, les voiles, le moteur, le pilote …n’ai-je rien oublié ?
Aller, les copains sont là pour m’aider à larguer. J’ai retiré l’amarre avant, le vent me pousse dans le bon sens, vers l’extérieur du ponton. Restent les amarres arrières que Xavier et Guy dénouent et me lancent. J’embraye et doucement Alliance s’éloigne du quai au son des cornes de brume et des cris d’adieu des copains de ponton. Il est 12 h TU (soit 11 h locales et 13 h en France). Je me retourne une dernière fois, je suis déjà à plusieurs centaines de mètres de la marina : un grand signe à tous et c’est fini …je suis parti. Une pensée noire, fugace : c’est la troisième fois que je quitte Mindelo cette année. Les deux premières fois j’ai fait demi-tour …jamais deux sans trois ! Bigre, occupons-nous d’autre chose !
Je me mets face au vent pour établir la grand’voile puis je reprends le cap pour sortir de cette immense baie. Je déroule un peu de génois mais le vent est faible et je garde le moteur. Sorti de la baie, je prends quasiment le bon cap définitif, dans le canal entre Sao Vicente, que je viens de quitter et San Antao, l’île qui est en face.
La grande traversée commence …
La journée se déroule lentement. Vers 15 h 30 TU, je suis sorti du canal mais il n’y a toujours pas de vent à cause du relief important de San Antao. Enfin, vers 17 h 45 TU, je commence à toucher du vent. J’arrête le moteur, c’est le silence relatif de la navigation. Silence car le moteur, c’est très bruyant mais relatif car il y a le bruit du vent dans les voiles et dans les haubans et le bruit de l’écoulement de l’eau le long de la coque. Loin de m’angoisser, ce silence, au contraire, me détend. Je suis en mer, mon bateau marche bien, je suis dans mon élément. La nuit tombe. Je pense à Carole et à son angoisse qui commence. A Véronique, ma fille aînée qui connaît bien la mer (elle est dans la marine marchande) et qui m’a dit, lors de notre dernière conversation téléphonique, qu’elle se chouterait au Valium tant que je ne serai pas arrivé ! C’est une boutade, bien sur, mais qui traduit bien son anxiété de me savoir seul en mer. Toute ma famille défile dans ma pensée, Béatrice et Manon mes deux autres filles qui, sans l’avoir manifesté comme Véronique, sont également inquiètes. Et Cyrille, mon fils, que j’ai retrouvé avec un immense bonheur très récemment après quelques temps pendant lesquels nous ne nous sommes pas vus. Puis, mes petits-enfants et, enfin, tous ceux qui me sont chers, famille, amis …
Le rythme s’installe. Il faut que je gère mon sommeil tout en assurant la sécurité du bateau et il faut que je me nourrisse convenablement et régulièrement.
Pendant toute la traversée, je respecterai les heures des repas comme à terre : Petit déjeuner vers 7 h, déjeuner vers midi et demi et dîner vers 19 h 30. Pour le sommeil, par tranches d’une demi-heure, au début, puis d’une heure, quand je suis bien dégagé des îles, soit 48 h après mon départ. Si j’ai faim pendant la nuit, je mange une pomme et du chocolat. Quand j’ai sommeil pendant la journée, je dors au même rythme que la nuit. C’est à l’aide d’une minuterie de cuisine que je me réveille !
Au début, la mer est très praticable, mais au plus je m’éloigne des îles, au plus une houle croisée, venant du nord et perturbant la houle naturelle des alizés, rend la mer abrupte et désagréable. Elle n’est pas très creuse (3 mètres maxi) mais désordonnée. Mer forte, comme dit la charmant dame de la météo que j’écoute tous les jours à la BLU à 11 h 40 TU. Il faudra bien s’y faire !
Le vent, sans être très musclé, porte bien et j’abats au moins mes 130 NM par 24 h …jusqu’au vendredi 15 février où le vent tombe, en fin de matinée, puis s’établit au nord-ouest ! Je fais du près, c’est pas banal sur la route des alizés ! Cela ne dure pas et à 23 h, plus de vent du tout. Je mets le moteur. Le vent revient samedi matin à 9 h mais pas pour longtemps …Je refait un peu de moteur le samedi après-midi puis toute la nuit de samedi à dimanche. Dimanche matin, pas un poil de vent : il faut que j’économise mon carburant donc j’arrête messire diesel et affale tout. Je fais le bouchon car même sans vent, il y a toujours cette méchante houle croisée ! Je tire des cartes météo américaines depuis la station de la Nouvelle Orléans et si les météorologues yankees ne se trompent pas, je devrais avoir à nouveau du vent dans la soirée.
Effectivement, le vent revient dimanche soir, faible, au début puis fraîchit peu à peu. Quel plaisir d’entendre à nouveau l’écoulement de l’eau le long de la coque !
J’ai mis une ligne à l’eau et … une dorade coryphène s’est laissée tenter ! chouette, du poisson frais qui améliore le menu !
Le vent, lui, ne me quittera plus jusqu’à la veille de l’arrivée, plus ou moins fort mais régulier en direction.
Dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24, un bruit suspect me réveille …le vérin du pilote à rendu l’âme ! Il est 3 h du matin. Je démonte le vérin après avoir sorti les batteries qui se trouvent sur le plancher qui le surplombe. Ce n’est pas une mince affaire. J’ai immobilisé le bateau, mais il fait le bouchon sur cette mer invariablement infernale ! A 4h 30, j’ai remonté le vérin de rechange et c’est reparti … je suis rompu mais content car je craignais que ce vérin de rechange ne soit pas en bon état. L’ancien propriétaire avait été évasif à son propos.
Jusqu’au mardi 26 février, le vent a été assez régulier mais en début d’après-midi, après une série de grains impressionnante mais qui n’ont pas mouillé le bateau, le vent tombe complètement. Vu la distance qui reste à parcourir (200 NM environ) j’ai assez de carburant pour aller jusqu’au bout au moteur s’il le faut. Donc, les chevaux-vapeur prennent le relais et c’est vers 17 h 30, le mercredi 27 février, heure du bateau et heure locale des Antilles que je vois enfin la Martinique dans le coucher du soleil. Il reste un peu plus de 20 NM à parcourir.
Vers 19 h 30, mon téléphone portable fonctionne à nouveau. J’appelle Carole, il est minuit et demi en France, et nous parlons un long moment tandis que je distingue de mieux en mieux les lumières de la côte.
Peu après 21 h, j’ai le phare de l’îlet Cabrit par le travers (le phare le plus au sud de la Martinique). A 22 h locales, soit 2 h du matin TU, je jette l’ancre dans la baie de Sainte-Anne. Il y a 17 jours et 14 heurs que j’ai quitté le Cap Vert. J’ai parcouru 2076 NM.
Je suis heureux et en pleine forme.
Dans l’excitation de l’arrivée, j’ai laissé passé l’heure du repas. J’ouvre une boite de pâté maison au piment d’espelette que m’ont offert Raymonde et Jean-Pierre, de Dyade, et me fait des toasts que je déguste avec une bonne bière fraîche.
J’ai traversé l’Atlantique en solitaire : un rêve est réalisé.
 

Publié dans alliance-au-large

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